Un nom comme le leur ne s'invente pas. Née juste après la retombée des vives flammes de l'automne 2005 qui avaient ravivé le corps de ce pays glacé, l'association AC le feu (pour Association Collectif Liberté Égalité Fraternité Ensemble Unis -sic-) s'est formée pour ainsi dire sur le tas, en groupant d'honnêtes grands frères accourus pour séparer flics et émeutiers. Alors que les émeutes avaient réussi à créer une situation on ne peut plus claire (ou bien la révolte, ou bien sa pacification), le collectif se prétendait «ni d'un côté, ni de l'autre», ce qui dans les faits se traduit toujours par «du côté des flics», même en y mettant du vernis et en avançant masqué. A la mode des syndicalistes courant après les colères de salariés qu'ils veulent enrégimenter afin d'y gagner en représentativité, AC le feu s'est empressé de monter sur la scène médiatique, et les braises de la révolte encore tièdes, d'y servir le bon vieux refrain des «aspirations compréhensibles» des habitants des banlieues. Certes, la colère est «légitime» (on parle déjà le langage du droit, langage qui ne peut appartenir qu'à l'Etat), les jeunes enragés ont leurs raisons qu'on ne saurait nier, mais maintenant ça suffit. Comme après une catastrophe où tout le monde crie «plus jamais ça», nos représentants auto-désignés ont eu beau jeu d'appeler à d'autres formes de la contestation, d'autres manières d'exprimer sa rage, de façon plus « constructive ». En somme, de passer de l'émeute à la politique, comme le souligne un passage de leurs «cahiers de doléances»: «Il nous a donc semblé indispensable d’agir pour le cessez le feu, attendu que les meilleures armes pour se faire entendre restent encore la participation citoyenne à notre démocratie [...]Rallumer la flamme citoyenne dans les cités».
Essai transformé aujourd'hui, puisqu'après avoir patiemment tissé leur toile (bénéficiant pour cela du soutien des pouvoirs locaux), revoilà nos citoyens qui pointent leur gueule à la porte du grand bordel électoral auquel tous les maquereaux se bousculent et jouent des coudes. Leur objectif? «On n'appelle pas à voter pour untel ou untel, non; le but est purement citoyen, il est d'inciter les jeunes des quartiers populaires à s'inscrire sur les listes électorales, afin de faire entendre leur voix. On n'est pas là pour donner une consigne de vote». En somme, le but est de faire baisser l'abstention, c'est à dire la saine indifférence des gens pour le grand banquet des coquins et des guignols qui ont fait du contrôle de nos vies l'essence de la leur. Activant leurs petites cellules territoriales (368 selon leur propre décompte), nos prêcheurs s'en vont cogner à un maximum d'huis afin de convertir chacun-e de la pertinence qu'il y a à mettre un misérable bout de papier dans l'urne, chose ô combien importante pour se sentir vivre. Et n'hésitent pas à s'essayer à l'art du ridicule: «A l’instar des sans culottes de la révolution française de 1789, notre démarche vise à faire remonter l’expression populaire auprès des édiles de la nation.»
Nos braves pèlerins démocrates ont la foi, ils veulent, selon leurs propres termes, initier les gens à la citoyenneté, afin de rattraper ce qui n'a pas été fait à l'école. Et pour ce faire, ils recrutent quelques personnalités charismatiques susceptibles de rendre un peu sexy une perspective qui sentirait plutôt le caveau. Extraits choisis du credo entonné par ces icônes du «spectacle responsable et engagé»:
«Convaincre les jeunes d'aller voter aux législatives. Et puis nous, à AC le feu, on a des membres qui sont rentrés dans les conseils municipaux», «Si l'Etat ne peut pas nous faire progresser, c'est à nous de faire progresser l'Etat.»
On y voit un peu plus clair. Si AC le feu quadrille les quartiers à la manière des CRS quand tout menace de cramer, en récoltant au passage quelques fauteuils pour y asseoir leurs gras séants d'ambitieux, c'est justement pour rendre la pacification politique plus présentable, tendre une carotte aux plus récupérables parmi les énervés des bagnes métropolitains pour leur faire miroiter quelques petites miettes lâchées par la généreuse société, quand bien même il n'y aurait plus grand chose à becqueter. Il sera ensuite facile de dire aux irréductibles: «Vous n'avez pas saisi votre chance, tant pis pour vous».
Devant le salutaire mépris que ces bouffons rencontrent sur leur route, ces derniers ont encore une explication: «Les gens sont souvent réfractaires, c'est culturel».
Nous pourrions nous étaler à l'envie sur leur cas, mais nous leur laisserons ce pathétique mot de la fin, richissime en crétinerie. Mais à toute fable sa morale, en voici une qui sonnerait pas mal:
Pas AC le feu, vive le feu !