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L’Enivrante jouissance de la vengeance satisfaite

On a tellement écrasé le sentiment de la personnalité qu’on est parvenu à forcer l’être même qui se révolte contre une injustice à s’en prendre à la Société, chose vague, intangible, invulnérable, inexistante par elle-même, au lieu de s’attaquer au coquin qui a causé ses griefs.


Ah ! si les détroussés des entreprises financières, les victimes de l’arbitraire gouvernemental avaient pris le parti d’agir contre les auteurs, en chair et en os, de leurs misères, il n’y aurait pas eu, après ce désastre, cette iniquité, et cette infamie après cette ruine. La vendetta n’est pas toujours une mauvaise chose. (...) Et devant l’approbation universelle qui aurait salué, par exemple, l’exécution d’un forban de l’agio, le maquis serait devenu inutile... Mais ce sont les institutions, aujourd’hui, qui sont coupables de tout ; on a oublié qu’elles n’existent que par les hommes. (...)


Les représailles n’ont pas besoin d’explications et il est puéril de rouler ma colère, encore une fois, dans le coton des arguties sociologiques. Aux simagrées des Tartufes de la civilisation, aux contorsions béates des gardes-chiourme du bagne qui s’appelle la Société, un geste d’animal peut seul répondre. Un geste de fauve, terrible et muet, le bond du tigre, pareil à l’essor d’un oiseau rapide, qui semble planer en s’allongeant et s’abat silencieusement sur la proie, les griffes entrant d’un coup dans la vie saignante, le rugissement s’enfonçant avec les crocs en la chair qui pantèle et qui seule entend le cri de triomphe qui la pénètre et vient ricaner dans son râle.


Georges Darien, dans Le Voleur, 1897.