« A
bas l’État », « Gauche – Droite = même arnaque »,
« Détruisons le pouvoir ». Ce sont des mots qui, parce
qu'ils ont été inscrits par des mains déterminées sur les façades
de diverses permanences électorales à Paris et en province,
accompagnés de bris de vitrines, ne sont pas de banals slogans à
secouer comme des hochets pour militants mais des idées toujours
vivantes, c'est-à-dire actives, et offensives. Car la vie ne se
résume pas à nos yeux au faux choix entre choisir ses maîtres et
végéter dans une abstention molle et indifférente. Ni même à
vociférer pendant des mois, plein d'indignation, pour la venue d'une
démocratie « réelle » ou « directe ». On
pourrait le faire pendant des années et des siècles, que les
mauvais jours ne finiraient toujours pas. Et nous voulons précisément
en finir avec cette vie de merde.
En finir avec la politique pour
laquelle, tout comme pour l'économie, nous ne sommes que des
chiffres à lister, à rayer, à compter, à radier, à embrigader, à
écraser, à insérer, à jeter, à dresser. Pour laquelle ne devons
être dociles, ou bien indésirables. Citoyens, ou « barbares ».
Électeurs, ou « irresponsables ». Pour laquelle nous
devrions désigner des représentants, des experts, des
portes-parole, des chefs, des maîtres, des élus. Grappiller
quelques miettes du gâteau pour les plus opportunistes, rester dans
la fange pour la quasi-totalité. La politique est née avec le
travail et l'esclavage, avec l’État et l'argent, avec les guerres
et les conflits pour le pouvoir et la domination. Elle est la gestion
et la conservation, en une multitude de variantes, de cette somme de
rapports pourris qu'on appelle Société. En quoi pourrait-il être
intéressant, pour nous qui voulons être libres, de nous
l'approprier, ou de nous la « ré-approprier », comme le
théorisent ceux qui nous font l'offense de décréter que nos rêves
devraient s'arrêter à l'acceptation de ce monde ? Nos rêves
ne s'arrêtent pas au moins-pire-possible, ni au moindre mal.
La rage est là. Difficile de le
nier, impossible de ne pas la voir, de passer à côté. La diarrhée
médiatique aura beau se déverser en flots continus afin de saturer
les cerveaux, d'assister comme il se doit (la société les paye pour
ça) la tâche des dominants, à savoir faire en sorte que rien ne
change fondamentalement dans ce monde. Que chacun reste à sa place,
rentre au plus profond de sa gorge ses passions, ses colères, ses
révoltes, ses intentions d'en découdre, jusqu'à les faire moisir
puis les recracher sous forme de bulletin de vote dans l'isoloir.
Là où elles s'éteindront dans un long sommeil, rythmé par la
passivité, la résignation, à peine consolé par le sentiment
toujours incompréhensible d'avoir fait « son bon devoir de
citoyen », par la conviction illusoire d'avoir « fait
passer un coup de gueule ». Nous ne parlerons même pas, dans
cette vaste blague politique, de la soif de pouvoir qui agite
quelques esprits frustrés et vaniteux. Quand bien même le pouvoir
serait à portée de main, notre premier réflexe serait de lui
cracher encore plus violemment à la gueule. Qu'il soit estampillé
de « Front de Gauche » à « Front National »
(qui ne sont que la même canaille qui se regarde dans un miroir),
ils veulent tous le pouvoir, et nous voulons sa destruction totale.
Nos désirs ne rentrent dans
aucune urne, dans aucun programme unifiant et uniforme, dans aucun
parti, car la révolution n'a jamais été l'affaire des partis.
Notre révolte ne se conjugue pas en mode « démocratique »,
nos mauvaises intentions et passions ne se laisseront pacifier, ni
par la carotte des promesses et de la délégation, ni par la menace
des triques et des barreaux, les deux revers de la pâle pièce
démocratique.
Soyons incontrôlables,
ingérables, ingouvernables !