A
en croire certains torchons journalistiques, il semblerait que
certains cols blancs à la tête du gouvernement aient nourri
quelques craintes suite aux manifestations lycéennes qui ont eu lieu
avant les vacances à Paris et dans d’autres villes de France.
Conscients que couve une colère qui n'attend qu'une étincelle pour
exploser (quelle attente toujours trop longue !), l'Etat et ses
sbires ont circonscrit ces rassemblements dans le cadre de
« manifestations lycéennes pour le retour de Leonarda et
Katchik », prévenant
ainsi toute radicalisation du mouvement, c'est-à-dire toute
possibilité de passer du refus de l’expulsion de ces deux lycéens
à des refus plus larges et sans concessions. Du refus de toutes
les expulsions à la
remise en cause de l’ordre existant qui nous étouffe, un monde qui
repose sur l'exploitation et la domination et dont les expulsions ne
sont qu'un des rouages. De la réticence à défiler sagement
derrière une sono qui crache des slogans auxquels personne ne croit,
à l'abandon de toutes velléités de revendications et de
négociations avec tous les pouvoirs quels qu'ils soient (étatiques,
patronaux, syndicaux...), de la pauvre comédie où chacun joue son
rôle (les sans-papiers qui réclament des papiers, les chômeurs un
emploi, les travailleurs des augmentations de salaire, les étudiants
et les professeurs plus de « moyens » pour étudier, le
peuple de gauche moins de racisme et de misère, les chats moins de
chiens etc.) au déraillement du train train quotidien, en d'autres
termes l'interruption du cours normal des choses et l'émergence de
cette banalité : aucun pouvoir ne peut régner sans la
servitude volontaire de ceux qui le subissent. De la bouche d’un
ministre, cela donne : « L’objectif est de désamorcer
très vite le mouvement car historiquement on sait que ces
manifestations sont très vites incontrôlables. » Bien vu
l’ennemi !
Déjà
jeudi 17 et vendredi 18 octobre, plutôt que de moisir sur une chaise
à compter les minutes avant la sonnerie, des lycéens ont préféré
bloquer les cimetières de leur jeunesse, une vingtaine dans Paris,
et certains se sont rendus aux manifestations prévues ces deux
jours : en dépit des efforts des professeurs, des journalistes,
des parents, des politiciens, et de tous ceux qui à l'école
comme en dehors imposent aux « élèves » ce qu'ils
devraient penser, ce qu’ils devraient faire et comment, beaucoup de
ceux qui foulaient le pavé ne se sont pas satisfaits de paître dans
le pré bien gardé de la stérile et impuissante contestation
citoyenne, y préférant un savoureux mélange de colère non
banalisée, de bon sens et de lucidité. Les tracts estampillés FIDL
et UNL sont piétinés, le cordon de tête de la manif' tenu par les
syndicats lycéens et étudiants et par la vermine politicienne du
Front de gauche se fait déborder et la tête de manif' pousse la
ligne de CRS qui déguste du caillou jusqu'à l'arrivée, certains
quittent le sacro-saint trajet Bastille-Nation pour arpenter les
petites rues, et s'équipent avec ce qu'il y a sous la main pour
s'attaquer en petit groupes aux CRS, de-ci de-là on entend ce slogan
« Non à toutes les expulsions » ou encore « la
jeunesse n'a pas de frontières », des laquais du pouvoir plus
communément appelés journalistes se font chahuter et piquer leur
matos, et il s'en est fallu de peu pour qu'une partie de la horde ne
pénètre dans la gare de Lyon.
Certes
cela a de quoi nous réjouir, et pourtant nous en gardons un goût
amer. Amer parce que la récréation est finie et que celle qui
l'emporte sans avoir été ébranlée c'est la démocratie,
c'est-à-dire la servitude ponctuée par des mouvements sociaux. La
machine à expulser fonctionne sans interruption, et si bien souvent
ses hommes de main œuvrent avec discrétion, il y a des jours où
les rafles sont massives et ne se cachent pas. Rappelons nous de la
journée du 6 juin à Barbès, ou plus récemment le jeudi 17 octobre
à Barbès encore. L'horreur est quotidienne, mais parfois sous les
feux des projecteurs elle se fait plus criante, et ses costumes
humanistes trop vite enfilés et son parfum de compassion ne
suffisent pas à dissimuler la puanteur morbide qui suinte de tous
ses pores. Rappelons nous de ce premier ministre italien, ce gros
bâtard en costard qui il y a de cela quelques semaines a naturalisé
à titre posthume les 350 migrants morts au large de Lampedusa, alors
même que les rescapés avaient déjà été expulsés. Ceci n'est
pas une blague, c'est l'impudence d'un dirigeant dans un monde où la
résignation et l'obéissance d'un grand nombre vont de pair avec les
responsabilités concrètes de structures et d'individus avides de
pouvoir et d'argent. Des structures qui sont à la portée de tous.
La révolte face à ce monde peut s'exprimer partout et tout le
temps, c'est entre autres ce qui fait sa force. Sans attendre et loin
des parades protestataires qui, malgré certains aspects encourageant
parfois, sont vouées à mourir dès que le pouvoir siffle la fin -et
lâche des miettes ou sort la matraque- ou dès qu'il commence à
pleuvoir, et qui n'ont jamais véritablement fait tomber un seul mur
tant qu'ils se sont cantonnés à la
non-violence et au respect de la légalité, aux négociations et
revendications pour l’aménagement de l'ordre existant.
Si
manifestation il y a, qu'elles riment avec chasse aux politiciens et
chasse aux syndicats, parce qu'ils font leur beurre sur la
contestation d'un système qu'ils ne cherchent qu'à réformer et
donc à reproduire. Parce qu'ils sont là pour canaliser et récupérer
les révoltes de ceux qui ne s’accommodent pas de le réformer mais
veulent le détruire. Parce qu'ils seront toujours un frein à nos
élans les plus généreux. Ni résignation ni paix face aux ennemis
de la liberté.