Ces derniers temps, dans certaines
régions ça bouge, ou plutôt ça bloque. Une certaine colère
diffuse prend la forme d'une fronde anti-gouvernement, notamment à
travers l'opposition à des nouvelles taxes. Au
premier coup d’œil quelque peu superficiel, certaines pratiques
peuvent sembler sympas. Ainsi, durant la première quinzaine de
novembre, la protestation contre l'écotaxe a causé à l’État une
dizaine de millions d’euros de frais, avec une centaine de radars
routiers, quatre portiques écotaxe et une vingtaine de bornes
détruits. L'ennemi est attaqué, on en sourit. Mais gare à ce que
nos sourires ne tournent pas à l'amertume. L'ennemi de mon ennemi
n'est pas forcément mon ami. Aussi le petit entrepreneur s'oppose
parfois à l’État. Mais pour lui il s'agit de l’État qui lui
prend de l'argent sous forme de taxes et d'impôts. Pour
l'entrepreneur, le flic et le juge seront toujours des amis :
ils sont là pour le défendre, lui et sa thune, des barbares. C'est
nous les barbares, ceux pour lesquels les flics sont là. Ceux que le
pouvoir et les patrons cherchent à soumettre à leur chantage, à
exploiter, acheter et vendre, enfermer, tabasser, tuer.
Le
mouvement des « bonnets rouges » bretons et ses
imitateurs, les transporteurs, les agriculteurs, les boutiquiers, ce
sont pour la plupart de petits entrepreneurs qui craignent de voir
leurs affaires étouffées ou encore des salariés plus royalistes
que (leur) roi. Du fait qu'en ce moment on trouve les salopards de
gôche au pouvoir, la droite fait son beurre avec cette
« contestation ». Contestation de quoi ? D'un monde
qui est une prison, de l'exploitation, de la misère, de l'autorité ?
Bien sûr que non. Gauche ou droite, extrême ou pas, ils sont pour
le maintien de ce monde ; ils se disputent sur des détails afin
de s 'arracher des fauteuils. Cette fronde anti-gouvernement
défend le droit de produire, de travailler (et d'en faire travailler
d'autres), de faire du fric. En Bretagne il y a en rab une
nauséabonde ritournelle nationaliste.
Un
radar routier est facile à attaquer et coûteux pour l’État, il
est donc une bonne cible. Mais les destructions de radars et
structures liées à l'ecotaxe, en ce moment et en tant que cibles
uniques, en disent beaucoup sur les perspectives clairement
réactionnaires de leurs auteurs anonymes. Il s'agit en effet d'une
opposition non à l’État, mais à un certain État (ou plus
précisément à l'actuel gouvernement de l’État), non à
l'exploitation, à l'autorité, à tout ce monde, mais à une
certaine gestion de ce monde. Non au contrôle et à la répression
étatiques de nos vies, mais à ce qui empêche quelques uns de
s'enrichir encore plus ou d'appuyer sur l'accélérateur de leurs
grosses voitures sans craindre des amendes....
On
nous dit que les taxes vont avoir des effets négatifs sur l'emploi.
D'accord ; on a justement pas envie de travailler. Et les
préoccupations des patrons, grands, moyens ou petits, ne sont pas
les nôtres ; pas plus que celles des gouvernants, de droite ou
de gauche. Car leur intérêt sera toujours de nous garder sous leur
joug. Notre intérêt à nous, les exploités, c'est de briser nos
chaînes. Pas avec des lois, pas en choisissant une mafia politique
plutôt qu'une autre, mais bien en renversant pour de vrai toute
autorité.
Est-ce
que ces petits feux réacs seraient peut-être le signe d'une colère
plus profonde, potentiellement explosive et libératrice ?
Peut-être, mais pour l'instant ils restent une fronde bien biaisée,
porteuse d'oppression. Notre pari n'est pas sur le boutiquier qui
défend son affaire, mais sur tout/e sauvage/onne qui n'a rien à
perdre et n'en peut plus d'un monde d'affaires. Qui rêve de la
liberté. Et qui entend passer personnellement à l'action.