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L’important ce n’est pas de savoir d’où on vient mais de décider où on va

En décembre dernier, nous avons décidé d'écrire et de diffuser sous forme de tract ce texte dans le quartier et ailleurs, parce qu'il essaye de répondre à des problématiques qui nous semblent entrer en conflit avec notre volonté de nous libérer de tout ce qui nous maintient en captivité. Être fier (ou honteux) de ses origines, de l'histoire de ses « ancêtres », de son pays ou de son nom est de plus en plus courant. Nous avons déjà parlé dans le premier numéro ou ailleurs du repli identitaire qui semble gagner du terrain, chose que l'on ne peut plus nier dans le Nord-Est de Paris, surtout après les émeutes réactionnaires de Belleville, mais plus insidieusement dans le quotidien non événementiel de chacun, dans les rapports et les regroupements communautaires et identitaires choisis ou forcés.

« Les racines, c’est des cache-misère romantiques pour dire de jolie manière qu’on a suivi les migrations industrielles comme les mouettes le chalutier... Histoire de grappiller les restes. Alors aujourd’hui c’est à la mode d’avoir des racines, de-ci, de-là. Conneries, oui ! Ça nous cloue au sol, ça nous empêche d’avancer. Les racines, c’est bon pour les ficus ! »

Parlons un peu de nous-mêmes, nous les humains. On nous a rangés dans des cases qui sont autant de cages, quand nous ne l’avons pas fait nous-mêmes, on nous a séparés sur des critères qui n’étaient pas les nôtres et en fonction de causes ou d’identités qui n’ont jamais été les nôtres. On nous a compartimentés, classifiés, on a transformé ce qui pourrait être des relations simples entres humains en de sinueux labyrinthes semés de séparations imaginaires rendues réelles et entretenues par une armada de lois, qu’elles soient inscrites dans des codes pénaux ou dans des codes sociaux, moraux et traditionnels. Mais au fond qu’est-ce qui nous différencie vraiment ?

Ce qui peut nous séparer comme nous relier, qui nous différencie vraiment les uns des autres, c’est l’ensemble des choix qui fait de chacun ce qu’il est vraiment, et non pas les diverses étiquettes collées sur notre dos par les autres, à notre naissance, selon la couleur de peau, le milieu social ou les origines, tout cela dans le but de nous uniformiser, nous intégrer, nous formater, nous domestiquer et nous soumettre. C’est parce que nous refusons toute notion de « nature humaine », ou toute nécessité historique et parce que nous pensons que l’individu n’est rien d’autre que la somme de ses choix, de ses désirs et de ses rêves, que nous ne sommes pas solidaires des conditions qui sont faites aux plus opprimés mais de la vigueur et des perspectives avec lesquelles ils résistent et combattent leurs oppressions.

Nous ne reconnaissons pas le statut de « la victime », cette nouvelle catégorie construite par la justice ou la norme et qui pose l’État et les humanitaires charitables comme seul remède, tout comme nous ne reconnaissons aucune généralité qui se place au dessus de l’individu, ni la responsabilité collective qui en découle. Par exemple celle de tous les « blancs » sur tous les « noirs » par rapport à la traite des noirs, de tous les « hommes » sur toutes les « femmes » par rapport au patriarcat, de tous les « hétérosexuels » sur tous les « homosexuels » pour l’homophobie, de tous les « allemands » sur tous les « juifs » pour le nazisme ou de tous les « juifs » sur tous les « arabes » pour les massacres commis par l’Etat d’Israël au Moyen-Orient. Se reconnaître comme « victime » ou « bourreau » pour des actes qu’on n’a pas subi ou commis nous-mêmes, c’est en quelque sorte reconnaître les catégories qui n’ont toujours servi qu’à subordonner l’individu à quelque chose de plus haut, à le sacrifier au nom d’une Raison Supérieure, à recruter des armées pour les guerres entre États. En tant qu’antimilitaristes, par exemple, nous ne sommes pas responsables des massacres commis en Afghanistan par l’État français au nom d’un « peuple de France » imaginaire, unifié et homogène. C’est pour la même raison que nous refusons des slogans tels que « Nous sommes tous des juifs allemands », « Nous sommes tous des palestiniens ». Ainsi, la seule responsabilité que nous reconnaissons est la notre car c’est à nous mêmes que nous répondons de nos actes.

Il est de bon ton, aujourd’hui, de trouver ses racines, de s’interroger sur ses origines, d’aller se ressourcer au bled ; de commander des recherches sur son arbre généalogique, d’être « roots », comme si le sol ou le sang pouvaient apporter une quelconque réponse à nos désirs de liberté ; comme si le rabaissement des autres « identités » était le moyen d’atténuer ses propres souffrances. Chacun a sa petite identité à mettre en concurrence avec celle des autres, chacun a sa petite fierté insipide à mettre en valeur, chacun fait de sa petitesse une force, alors que tout le monde vit dans la même merde, et que toutes ces divisions et fausses-oppositions font le jeu du pouvoir.

A contrario, des individus font quotidiennement le choix de se révolter, dans les prisons, les centres de rétention, les écoles, envoyant chier famille et traditions, armées, frontières et nations. Chaque amant de la liberté n’attend que d’en rencontrer d’autres pour enfin détruire tous les rôles et les catégories sociales qui les empêchent de se retrouver et de vivre enfin ce qui n’a jamais été vécu, en se coupant de toute racine qui nous rattache encore à ce monde de domination.

Attaquons tout ce qui nous détourne de notre liberté.
 
Des anarchistes.